L’un de nos abonnés nous a récemment posé la question suivante : « Légalement, comment peut-on accélérer la transition numérique ? » L’occasion pour nous de faire le point sur le paysage législatif français de la numérisation.
Y voir un peu plus clair!
Un contexte réglementaire chargé
A l’heure où les entreprises revendiquent une « démat » à outrance, où les « digital evangelists » prédisent (le revoilà!) le zéro papier et l’avenir radieux de la digitalisation, qu’en est-il vraiment ? Les entreprises peuvent-elles tout faire ?
En fait, nous sommes aujourd’hui dans un continuum numérique décidé par le Gouvernement français depuis la promulgation le 7 octobre 2016 de la loi pour une République numérique. Cette loi a pour ambition la promotion de l’innovation et le développement de l’économie numérique. L’Etat a pour volonté l’établissement d’une société numérique dans laquelle l’innovation est libérée au sein d’un cadre de confiance.
Ce projet porté par l’Etat français est bien de construire une République numérique!
Prenant conscience des avancées numériques, de l’arrivée des NTIC dans le milieu entrepreneurial, de l’hybridation physique et numérique, l’Etat réagit et décide d’armer la France pour affronter les enjeux de l’économie des données. Ainsi, l’Etat garantit par exemple la neutralité du Net pour donner à tous les mêmes chances d’accès au réseau, quel que soit le service proposé par les fournisseurs d’accès internet. Le principe clef est de garantir la non-discrimination.
De plus, cette loi promettait déjà la protection des données personnelles en établissant le droit à la libre disposition de ses données personnelles. Or comme nous le savons, le RGPD, entré en vigueur en mai dernier, n’a fait que renforcer cette opportunité pour le consommateur de se protéger.
La République française prend donc en marche le mouvement de la transformation numérique, celui de la transformation économique globale.
L’ordonnance 2017-1433 : un coup de pouce à la digitalisation ?
L’ordonnance 2017-1433 du 4 octobre 2017 est directement relative à la dématérialisation des relations contractuelles dans le secteur financier. En fait, à notre sens, elle est l’exemple type de l’accélération de la transformation numérique en France.
L’objectif de l’ordonnance est de favoriser la pleine exploitation des supports numériques et des outils de la dématérialisation via un cadre juridique. Pour le dire autrement, cette ordonnance permet d’améliorer, de faciliter et de fluidifier les échanges entre les organismes du secteur financier et leurs clients. La loi française offre désormais la possibilité de dématérialiser la relation avec le client (sauf opposition de sa part bien sur).
L’ordonnance 2017-1433, entrée en vigueur le 1er avril 2018, met en valeur les outils existants du numérique tels que l’envoi recommandé électronique ainsi que la signature électronique. Parmi les arguments mis en avant, on trouve l’efficacité opérationnelle et le gain de temps pour le consommateur.
Par ailleurs, l’ordonnance a pour but de veiller à la protection du consommateur. En effet, l’Etat se propose ici d’encadrer le développement des usages numériques. Les supports de communication dématérialisés sont définis comme étant des supports durables. C’est-à-dire des instruments qui permettent de stocker des informations adressées personnellement d’une manière permettant de s’y reporter aisément dans le futur. Le support durable, contrairement au papier permet de disposer à tout moment de l’information et donc de la reproduire à l’identique.
En fait, cette ordonnance modifie les différents codes français de la gestion précontractuelle et contractuelle : le code monétaire et financier, celui de la consommation, celui de la mutualité, celui de la sécurité sociale ainsi que celui des assurances.
Bien sûr, bien que cette ordonnance soit un véritable coup de pouce à la digitalisation des entreprises, elle oblige également d’informer le client de façon claire, précise et compréhensible. C’est au client de choisir le support qu’il accepte d’utiliser ainsi que le canal de communication. Il reste maître de la poursuite de la relation commerciale.
Contre-expertise : l’avis mitigé de notre expert, Pierre Esquibet, associé, Kalpa Conseils
Une bonne idée qui soulève plusieurs problématiques
“Cette ordonnance apporte plus de contraintes que de simplifications ! Si l’on regarde du côté des banques, elles ont toutes opéré le premier pas d’avoir à minima un site Internet et une application mobile permettant d’effectuer des opérations de gestion de compte en ligne.”
De fait, certaines ont déjà bien amorcé la dématérialisation de leur relation client.
“Il faudrait effectuer une reprise de tout l’historique des relations dématérialisées pour que ces banques entrent en conformité avec la loi. De plus, l’ordonnance prévoit que la résiliation d’un compte se fasse tout de même via papier. La dématérialisation ne serait donc pas entière à toutes les étapes de la procédure. Par ailleurs, la loi oblige une vérification annuelle de l’adresse de messagerie électronique du client. Avec la version papier, on ne vérifie pas l’adresse postale chaque année! On constate alors que la loi qui promettait plus de simplification apporte finalement plus de sécurité mais aussi plus de contraintes ; pourtant cela n’entrait pas dans le principe d’origine.”
Pierre Esquibet souligne aussi la réticence de certains clients à passer au “tout digital”. Depuis dix ans maintenant, les banques essayent d’inciter le plus possible leurs clients à la dématérialisation par des services gratuits. Pourtant cette méthode n’a pas l’air de fonctionner et plus encore, elle montre vite ses limites. Il semblerait que le plafond de verre de la dématérialisation des relevés bancaires soit situé à 40% des clients. Pourquoi ? Parce que le client n’accepte pas une dématérialisation forcée; elle risque même de générer de l’insatisfaction client. La dématérialisation est perçue, à tord et à raison, par le client comme un moyen pour les banques d’économiser de l’argent et non comme un service complémentaire.
« Un client qui continue d’avoir ses tickets de caisse au format papier n’a pas toujours envie d’avoir son relevé de compte dématérialisé ! Il n’y a aucune logique, c’est normal ! »
Mise à part cette réticence liée à l’usage et ce manque de confiance persistant dans le tout numérique, la nouvelle ordonnance va peut-être inciter les banques à changer leur fonctionnement en interne. Les télécoms sont de leur côté bien plus avancées que le secteur bancaire dans la dématérialisation; cela en partie grâce à une très bonne et plus ancienne gestion de la communication client multicanale dans leur SI. Même si le système bancaire s’inspire de ce secteur qui a déjà fait le choix de la dématérialisation il y a plusieurs années en obtenant des résultats positifs, les banques doivent encore s’adapter aux évolutions du marché et à la demande du client.
La loi va-t-elle donc changer quelque chose ?
Cette loi représente une opportunité de développer la dématérialisation de la communication client. Cette loi ne devrait pas modifier ni le comportement des clients ni le mouvement entamé par les entreprises pour offrir de plus en plus de services dématérialisés à leurs clients. Elle pourra toutefois conforter les entreprises dans les investissements nécessaires pour proposer une offre multicanale à leurs clients.
Quant aux clients eux-mêmes, leur comportement changera définitivement quand l’offre de services satisfera 3 grands critères :
- La confiance dans l’écosystème proposé
- La concentration de tous les documents dématérialisés en un point central sécurisé (coffre-fort unique)
- Une offre réellement multicanale