Donné pour fortement déclinant à l’heure de la montée en puissance des canaux digitaux, le support papier persiste et permet de signer de nouvelles innovations documentaires. Sa valeur augmente car il gagne en intelligence. Afin de cerner cette mutation, DOCauFutur, l’avenir du document s’est plié en quatre tel un document papier, pour recueillir le regard de quelques experts.
Les nouveautés technologiques se succèdent dans notre quotidien. Et n’ont pas toujours l’impact dévastateur annoncé. Pourtant, à chaque innovation, certains gourous prônent la mort des solutions qu’elle est appelée à remplacer. Chimères. Les exemples sont légion. La presse papier n’a pas disparue avec l’avènement de la radio qui n’a pas, non plus, été balayée par la télévision. Que dire du Net, qui devait accélérer la perte de maints composants et pratiques associées ? Certes, elle a bouleversé notre rapport au temps et à l’espace. Mais enfin, bon nombre de prédictions projetées à son égard sont restées lettres mortes. Sur le terrain de l’éditique, d’aucuns ont promis la mort du papier à la faveur de la montée en puissance du digital. Qu’en est-il sur le terrain ? Le numérique a-t-il eu raison du papier ?
Le papier devient dynamique avec des annexes numériques
Selon Arnaud de La Passardière, directeur de la division éditique chez Docapost DPS, « pour l’heure, le document papier existe toujours et ressemble, globalement, à celui des années 90 marquées par le format structuré lié aux actes de gestion comme le bulletin de paie ou la facture par exemple. Mais la donne est en passe de changer. Outre l’impression couleur, qui s’invite sur ce support et lui promet un avenir plus chatoyant, l’intelligence s’en empare également. Le papier devient dynamique avec des annexes numériques. En fait, il capitalise sur la souplesse du numérique et se conjugue avec lui pour varier en fonction de ses cibles ». Ainsi, une facture papier, document de gestion par excellence, peut être utilisée comme vecteur de promotion d’offres complémentaires. Outre-Atlantique, le support papier est exploitable à des fins promotionnelles. Du coup, le voilà toujours vivant, et même en pleine forme. En pleine forme car porté notamment par de nouvelles pratiques des consommateurs qui sont, de plus en plus, multi-clients, ce qui aboutit à la valorisation du support papier. On l’aura compris, le document papier a encore de beaux jours devant lui.
Partageant cette analyse, Kevin Morlet, chargé d’affaires et du développement commercial chez Kern Postal Solutions, observe que« l’acception de l’éditique a changé au fil des ans. Historiquement, elle se limitait à la composition et à la fabrication documentaire. Elle a changé et s’est recentrée sur le concept de service. Dans cette mutation, le papier devient stratégique et retrouve ses lettres de noblesse car il est mature et concerne un nombre élevé d’acteurs. Il emprunte également le chemin de la couleur. Et reste le support roi, malgré les pronostics régulièrement démentis, qui prédisent la prégnance du numérique. En fait, sa prépondérance ne fait guerre de doute. En revanche, il faut l’adapter à la cible ; et savoir l’utiliser au bon moment ».
Un tandem papier/numérique se crée et pousse chacun à la spécialisation
Mieux, dans ce monde où plus d’un avait prévu la mort de ce document papier au profit du dématérialisé, l’un et l’autre commencent même à trouver des terrains d’entente. Des exemples ? Les lettres recommandées sont associées au numérique afin de permettre aux clients de bénéficier d’un suivi en temps réel du cheminement du courrier papier. Qui l’eut cru il y a encore quelque temps ? Ce tandem qui se créé pousse les deux forces en présence à se spécialiser : au courrier papier la pertinence en termes de communication et au digital la réactivité et la personnalisation. Une personnalisation que note Yvonne Schickel, directeur marketing, Cincom ChannelStream. « En marketing, les QR codes, et dans une certaine mesure, la réalité augmentée, permettent au papier d’ouvrir la porte de l’interactivité avec le client. Le document physique reçu par voie postale créé la curiosité grâce à la connectivité qu’il propose au client à travers un QR Code intégré. Attiré par un dispositif de gaming, par exemple, le consommateur va être motivé à se connecter. En fait, le papier permet dans ce cas de mener vers un schéma digital ». Et Didier Renucci, directeur des entités Cincom Professional Services, d’enfoncer le clou : « on assiste ici à un rebond du papier vers l’électronique avec, en prime, l’introduction de l’interactivité entre le client et l’émetteur du document papier. A l’arrivée, le papier permet au consommateur de devenir actif et impliqué ; le fournisseur y gagne, même si cela peut s’avérer quelque peu coûteux ». Pour optimiser les coûts dans une telle logique, Yvonne Schickel propose « l’envoi d’un document papier de petite taille assorti d’un QR Code ayant des données personnalisées du client, ce qui renforce le lien avec l’émetteur ; cette personnalisation nécessite une ouverture vers les technologies du Big data ». Il est loin le temps de l’opposition entre les deux vecteurs, physique et électronique. Ce qui n’empêche pas de s’interroger sur la valeur des processus d’échange à l’heure de l’éditique.
Olivier Torres, Directeur du Marché Relation d’affaires à La Poste, s’y livre, d’entrée de jeu : « Vu du prisme purement logistique de l’émetteur, que vaut ce support ? Il peut être considéré comme coûteux sachant que son envoi nécessite généralement un affranchissement et, du coup, la tentation de dématérialiser devient forte, surtout si le document a un caractère réglementaire et de ce point de vue, subit, sans autre ambition en matière d’amélioration de la relation client. Cela explique la plongée de bon nombre d’organisation dans la digitalisation des flux pourtant, la mise en place d’une chaîne de dématérialisation, son fonctionnement et sa maintenance coûtent aussi, voire tout aussi, chers ». En fait, les considérations de moyens ne doivent pas être au centre d’une telle mutation car l’enjeu est tout autre : « pérenniser la relation avec le client, le vrai levier de ROI se trouve là ; de ce point de vue, il faut tenir compte de la valeur du contenu du message et des usages définis : à quel moment et sur quel support dois-je envoyer tel ou tel message au client pour améliorer mes objectifs de fidélisation ? Du coup, le choix du papier ou du digital ne peut pas être totalement décorrélé de la connaissance du destinataire, enjeu marketing si il en est ».
« Un juge de paix nommé « nécessité du cross-canal »
Beaucoup d’entreprises l’ont compris. « A l’instar des banques et des assurances qui, après avoir mis le cap sur une dématérialisation exclusivement centrée sur des objectifs de réduction de coûts, réorientent leur stratégie notamment en matière de Transpromo, en rééquilibrant un mixte papier et digital, offrant un taux de concrétisation nettement plus élevé qu’un courriel avec une pièce jointe peu personnalisée», considère Olivier Torres.
Vu à travers le prisme du destinataire, l’élimination du papier peut être vécue comme une trahison, surtout quand ce changement est effectué à la hussarde ; afin d’éviter l’attrition (Churn) qui peut en découler, d’autres combinent les deux en mettant en place des dispositifs dématérialisés parmi lesquels des coffres-forts électroniques sécurisés. Si ce changement peut paraître comme une avancée, l’hétérogénéité des solutions proposées (chaque fournisseur pousse la sienne) ne facilite pas leur adoption par le consommateur multifournisseur. A l’arrivée, ce sont autant de difficultés sur le chemin de la généralisation du numérique. De ce point de vue au moins, le papier garde encore une place importante dans la stratégie d’interaction avec le client et au sein de l’éditique qui permet d’en faire désormais un support de grande valeur.
Dès lors le débat se recentre sur l’art et la manière de combiner l’ensemble des canaux en vue de mieux répondre aux attentes du client. On l’aura compris, la nécessité du cross-canal intervient ici comme juge de paix.