L’évolution des entreprises vers la convergence documentaire est plus freinée par un manque de vision stratégique que par les contraintes techniques. Hier affaire de spécialistes, la gestion documentaire devient un élément plus visible, directement lié à l’expérience utilisateur.
En ces temps de conjoncture tendue, il en est de la convergence documentaire comme de beaucoup d’investissements stratégiques à moyen ou long terme, et notamment de l’évolution vers l’entreprise numérique. Les éditeurs le reconnaissent volontiers, la période n’est pas particulièrement propice : « dans leur grande majorité, les entreprises viennent tout juste de franchir une étape essentielle d’optimisation de leur communication pour en réduire les coûts », constate Evelyne Maisonneuve, directrice générale d’Editique Média Service (EMS). Les plus avancées aborderaient seulement maintenant la seconde étape du processus de convergence documentaire, la question de la traçabilité des services documentaires. Logiquement, les entreprises prennent un problème après l’autre.
Pour les éditeurs, les entreprises ne profitent pas assez des efforts réalisés ces dernières années par les éditeurs pour rendre leurs outils plus interopérables.
« Faute de prendre le temps de bâtir une vision stratégique à long terme, elles risquent de payer plus cher en mettant en œuvre des solutions qui empiètent chacune sur le territoire de l’autre sans leur apporter les marges de manœuvre fonctionnelles dont elles auront besoin dans l’avenir » précise Philippe Fillipi, Directeur Général Compart France. Cette progression, à pas comptés, serait d’autant plus problématique que pendant ce temps, les outils vieillissent. Plus les entreprises attendent, et plus elles auront d’investissements à remettre en cause pour réaliser la convergence documentaire, avertissent encore les éditeurs. « Le plus urgent aujourd’hui, c’est de développer les compétences nouvelles qui permettront de réaliser la convergence documentaire », affirme de son côté Loïc Lefebvre, directeur du développement du groupe Diffusion Plus. L’avertissement, selon lui, s’adresserait autant aux entreprises elles-mêmes qu’à l’industrie dans son ensemble, dont tous les acteurs n’ont pas encore forcément pris le virage de la convergence documentaire. C’est pourtant sur eux que les entreprises comptent pour donner le LA.
Un ménage à trois difficile à mettre en oeuvre
« Le grand changement », explicite Jean-Philippe Khristy, directeur du Pôle Relations Clients de l’éditeur Sefas, « c’est que la gestion des documents va de plus en plus échapper aux spécialistes ». Et il est urgent de s’y préparer selon l’éditeur. Sa remarque fait écho à celle de Loïc Lefebvre, pour qui l’enjeu sera de moins en moins dans la mise en œuvre d’outils sophistiqués d’arrière-boutique que dans la conception des nouveaux services proposés aux utilisateurs métiers et aux clients finaux, sans oublier l’interconnexion avec les systèmes métier et les outils de relation client. A l’ère du cloud et des applications en mode hébergé, le défi principal reste l’exploitation d’un potentiel encore à peine effleuré en matière de connaissance du client, de ses attentes et de ses habitudes. « Mais attention, il ne suffira pas d’imaginer dans son coin de nouvelles solutions. Rien ne se fera sans les utilisateurs », averti encore Jean-Philippe Khristy.
Véritable ménage à trois, la convergence documentaire implique non seulement une remise à plat des flux documentaires internes à l’entreprise, mais aussi de ceux échangés avec l’extérieur. A l’interne comme à l’externe, la démarche la plus pertinente aujourd’hui serait de commencer à consulter l’ensemble des parties prenantes pour déterminer les besoins et les possibilités d’évolution et anticiper les difficultés inhérentes à un changement qui touchera toute l’organisation. « Une vraie politique de convergence documentaire passe nécessairement par l’élaboration d’un référentiel commun et partagé sur ce que doit devenir le document dans l’entreprise. C’est la seule façon de créer de la valeur ajoutée, et donc d’aller au delà du simple transfert du papier vers le numérique », insiste Jérôme Mendiela, responsable Business Développement chez Numen.
Les services de l’Etat accélèrent la cadence
A écouter les acteurs de l’industrie, l’ampleur même du projet justifie à elle seule l’urgence de s’y mettre. A bien y réfléchir, il est vrai que la construction d’un référentiel commun capable d’intégrer toutes les dimensions d’un document d’entreprise, y compris les points de vue juridiques et comptables, n’est pas une mince affaire. La principale difficulté à priori consiste à mettre autour de la même table des spécialistes qui ne sont pas toujours habitués à se parler. Si les services informatiques sont encore une fois en première ligne, il est clair que rien ne pourra se faire sans une collaboration étroite avec les directions métiers et une impulsion marquée de la direction générale, notamment vis à vis de ses parties prenantes externes.
Autre difficulté, c’est que sur ce point, les entreprises ne sont pas toutes au même niveau, et que, paradoxalement, ce sont aujourd’hui les services de l’Etat qui ont pris le plus d’avance. Pour les entreprises, le risque s’accroît de devoir faire face à des réglementations plus strictes, notamment en termes de délais de traitement, qui seront basées sur ces nouvelles possibilités technologiques. L’évolution de la clientèle elle-même expose aussi à un autre risque non négligeable de convergence à marche forcée. « Ceux qui ont vingt ans aujourd’hui sont nés à l’ère du numérique et constituent la nouvelle génération des clients. Ne pas réfléchir à la convergence documentaire, s’est prendre le risque de ne plus savoir interagir avec cette génération qui s’éloigne plus que les précédentes de la culture du document papier », conclut Jérôme Mendiela.
Paul Philipon Dollet, journaliste indépendant pour OutputLinks France