Bien qu’encore incomplètement définie, la convergence documentaire s’affirme comme une évolution majeure et déjà engagée. Pour tenir ses promesses, elle doit être créatrice de valeur supplémentaire pour l’entreprise et le client. Une perspective qui implique de revoir de fond en comble non seulement les processus documentaires, mais aussi le rôle du document pour l’entreprise, et son utilité pour le destinataire.
En juin dernier, la 14ème édition de Graphitec, le salon des industries graphiques, renouvelait un avertissement déjà maintes fois entendu. La convergence documentaire est en marche! Elle résulterait de la disparition progressive des frontières entre les différentes manières de communiquer avec les clients ou les administrés.
Si toutes les entreprises sont concernées, elles sont encore peu nombreuses à avoir les idées claires sur le sujet, et pour cause : constructeurs et éditeurs eux-mêmes éprouvent encore quelques difficultés à s’entendre sur une définition commune de ce qu’est réellement la convergence documentaire et de ce qu’elle est sensée apporter.
« Ce n’est pas un débat facile », reconnaît Loïc Lefebvre, directeur du développement du groupe Diffusion Plus. « En tant qu’idée, note-t-il, la convergence documentaire succède à priori à bien d’autres révolutions qui n’ont pas toutes tenu leurs promesses, loin s’en faut. » Toute la profession garde en bouche le goût amer de la révolution « Transpromo » qui continue, encore aujourd’hui, de faire long feu. Au jeu des concepts innovants et potentiellement révolutionnaires, la concurrence est au demeurant plus rude que jamais; le multicanal se dispute ainsi avec le cross-media ou au cross-canal pour venir renouveler une autre idée installée depuis longtemps, celle de la dématérialisation. « Il s’est quand même passé quelque chose de différent », poursuit Loïc Lefebvre en évoquant les technologies Web-to-Print et Print-to-Web, d’ailleurs reines incontestées du dernier Graphitec. « Ces technologies ont en commun une idée véritablement neuve et qui pour moi relève véritablement de la convergence documentaire, la complémentarité des supports de diffusion », souligne-t-il. Dans la profession, cette première ébauche de définition semble plutôt faire consensus.
« La convergence documentaire porte l’idée de rapprochement, de la capacité à gérer le croisement des outils de communication pour être en mesure de délivrer au client la même information quel que soit le canal de diffusion », confirme Evelyne Maisonneuve, directrice générale d’Editique Media Service (EMS), avant de mettre en garde contre le danger de ne s’intéresser qu’à la forme, le passage au numérique, et non au fond de cette évolution majeure.
Eviter le piège de l’intégration technologique
« Il ne faut pas confondre les outils et l’objectif », enchérit pour sa part Jean-Philippe Khristy, directeur du Pôle Relations Client de l’éditeur Sefas, en évoquant lui aussi la confusion courante entre convergence documentaire et dématérialisation. Pour lui, « les technologies de dématérialisation seraient à la convergence documentaire ce que l’éditique est aujourd’hui à la communication client, le moyen de concrétiser une stratégie, et non la stratégie elle-même ». « Ce qu’il s’agit d’inventer, c’est le document de demain, et pour cela il faut sortir de la vision tactique propre à la dématérialisation pour nourrir une véritable vision stratégique », insiste Philippe Filippi, Directeur Général de Compart France. Pour l’essentiel, la balle serait donc dans le camp des entreprises. Celles-ci souligne-t-on en cœur chez les éditeurs, n’auraient pas encore découvert tout le potentiel qu’il y a à combiner des solutions techniques aujourd’hui matures et éprouvées. « C’est qu’il y a un piège dans lequel il est relativement facile de tomber, celui de l’intégration technologique », analyse Jérôme Mendiela, responsable Business Développement chez Numen. Pour lui, le véritable enjeu se trouve précisément au delà.
« La dématérialisation a certes permis de réaliser des économies, explique-t-il encore, mais elle n’est pas en soi créatrice de valeur supplémentaire pour l’entreprise et sa relation client ». Là encore, éditeurs, prestataires et constructeurs sont unanimes, « ce sont les usages qui peuvent rendre plus concrète la convergence documentaire » ajoute Philippe Filippi. Et qui dit usages, dit utilisateurs, collaborateurs ou clients, et compréhension de leurs attentes. « Il n’y a pas de stratégie qui puisse se bâtir sans cet effort préalable d’écoute », insiste Jean-Philippe Khristy.
Vendor Relationship Management
« La promesse de valeur, c’est plus d’efficacité dans la relation client final », résume Loïc Lefebvre avant de souligner que cet objectif même interdit de décider de la stratégie à adopter par soi-même, sans prendre la peine de consulter ses clients finaux. Selon lui, les réseaux sociaux sont passés par là. Ils ont rendu le client plus exigeant mais aussi plus libre, et notamment de choisir les entreprises dont il accepte de recevoir les communications, avec lesquelles il est d’accord pour interagir.
Le C de Customer Relationship Management (Gestion de la relation client : NDT) serait déjà supplanté par un V, pour Vendor Relationship Management, que l’on pourrait traduire par l’idée de gestion de l’écoute ou de l’attention du client. « Parce que sa communication n’est plus forcément attendue, l’entreprise doit faire preuve de plus d’ingéniosité, par exemple », illustre Loïc Lefebvre, en mettant en place un processus automatisé d’envoi de courrier pour les utilisateurs qui n’ont pas cliqué dans un certain délai un email d’invitation qui leur a été envoyé, et en veillant à ce que ce document papier leur permettre de revenir sur un site Web pour compléter la transaction. La convergence au bout du compte, serait la capacité à utiliser tous les canaux de diffusion à disposition, y compris l’imprimé, pour contourner autant que possible les obstacles à la communication client.
« Il y a un autre exemple que nous connaissons tous, enchérit Jérôme Mendiela, c’est celui de cet email qui vous ai envoyé par votre banque ou votre opérateur vous demandant un complément d’information mais sans vous offrir la possibilité de répondre par le même canal de communication. » Et le prestataire d’en tirer une leçon en définitive évidente, la convergence documentaire ne prendra vraiment corps que lorsqu’elle pourra se faire aussi du côté client, grâce à de nouveaux moyens d’interaction avec l’entreprise.
Prendre le problème à l’envers
« Il faut bien prendre en compte toute la profondeur du changement qui s’opère », reprend Evelyne Maisonneuve. Pour elle, inventer le document de demain, ce n’est pas seulement renouveler les processus et les logiciels de traitement, c’est aussi faire évoluer sa fonction au service de la relation client. Au jeu des prédictions, il en est quelques unes désormais assez évidentes, comme la décorrélation croissante entre l’information et son support, numérique ou non et peut-être demain, la disparition d’une notion clé pour ce que nous appelons aujourd’hui le document. « A termes, la page pourrait bien disparaître au profit du message » assure Jean Philippe Khristy.
Mais la problématique de fond, du point de vue de l’entreprise, reste inchangée. Elle est celle de l’intérêt stratégique d’une démarche dont les bénéfices à court terme ne sont pas nécessairement évidents à cerner.
« On peut concevoir le plus beau document ou le plus beau processus du monde, il ne portera pas ses fruits s’il ne vient pas enrichir l’expérience client », analyse Paul Muller, Président d’Europtin. Et de suggérer de prendre le problème à l’envers, en partant non plus du document, mais de la fonction que celui-ci remplit réellement dans le processus métier, et avec l’objectif de rechercher comment accélérer la création de valeur. « La convergence documentaire ne serait rien de plus, selon Philippe Filippi, qu’un moyen au service d’une stratégie centrée sur l’efficacité, celle-ci étant mesurée à l’aune de la production de valeur pour l’entreprise ». Pour Paul Muller, spécialiste de la certification par tiers de confiance des échanges électroniques, « la convergence n’en est pas moins une opportunité encore largement inexploitée par les entreprises : celle de changer diamétralement leur manière de voir le document, non plus comme un moyen de s’adresser au client de façon plus ou moins rigide et en fonction d’un processus métier figé, mais comme un nouvel outil pour l’écouter et s’adapter dynamiquement à ses attentes. »
Par Paul Philipon Dollet, journaliste indépendant pour OutputLinks France